Notre séjour à Trujillo en octobre 2010 (Aline et Michel)

Jeudi 7 octobre

Nous arrivons à l’aéroport de Trujillo à 22h, après une longue journée. Rosario et Consuelo nous attendent et nous sautent au cou. Un taxi nous amène jusqu’à la maison de Rosario. Autour d’un verre d’Inkacola, boisson nationale péruvienne jaune, gazeuse et très sucrée, après les mots de bienvenue, la conversation vient vite sur ce qui soucie Rosario  :

  • les cuisinières des centres sont à changer. Elles sont très vieilles, rouillées, fonctionnent au pétrole,  .
  • les WC d’Alto Trujillo et de La Esperanza sont actuellement de simples latrines. Rosario voudrait faire des WC modernes raccordés au tout à l’égout que la municipalité a installé dans la rue.

Nous en restons là, moulus de fatigue, il est 1h30 du matin.

Vendredi 8 octobre – Alto Trujillo

A 9h30, nous prenons un taxi, jaune comme la plupart. Il suffit d’attendre 10 s pour en voir un s’arrêter. Il nous amène au centre ville encore dans les brumes matinales : la Place d’Armes, les maisons si caractéristiques de Trujillo, avec leurs fenêtres à grillage blanc sur des murs colorés… Puis taxi pour Alto Trujillo. Une interminable piste d’abord goudronnée puis sableuse et défoncée nous mène à Alto Trujillo.

la "cocina"

la « cocina »

Maria nous accueille, surprise et ravie du petit cadeau que nous lui apportons. Tout de suite nous voilà autour de la « cocina » rongée par la rouille.

Maria met en route la gazinière

Maria met en route la gazinière

Elle la met en route sous nos yeux, moyennant l’actionnement énergique d’un levier et plusieurs tentatives d’allumage. Un quart d’heure après, les feux sont enfin allumés.

Puis dans la cour nous voyons le petit poêle à briquette où chauffe une grosse bouilloire d’eau. « C’est pour faire les jus de fruits pour les enfants ».

Dans la cour, un petit appentis couvert d’une tresse abrite un lit « c’est là que dort Julio quand il vient pour assurer le petit déjeuner des enfants en l’absence de la chargée de centre ». Cela est arrivé plusieurs fois. Il arrive la veille en taxi, pour être à pied d’œuvre dès 5h le matin. Rosario arrive dans la matinée et prépare le repas de midi.

alt_truj_oct_2010_574 F CDevant le centre, le terrain de jeux est occupé par des jeunes qui tapent dans le ballon. Le football est un sport national au Pérou ! Dans la cuisine, la soupe à base de farine et d’une sorte de lentille, sent bon. A côté d’une immense casserole de riz, dans une autre casserole, le poulet coupé en petits morceaux cuit avec de l’oignon et des aromates. Maria épluche les pommes de terre cuites. Le « jus de simili-poire » est dans les verres recouverts d’un torchon. Un gros régime de bananes constituera le dessert.

Les premiers arrivent. Ils nous embrassent en nous serrant dans leurs bras. Aujourd’hui, c’est jour férié, ils n’ont pas d’école. Ils sont donc nombreux à arriver tôt, sans uniforme et pour certains sans s’être lavés ! Une bassine d’eau leur tend les bras, mais je ne vois aucun enfant se laver les mains.

alt_truj_oct_2010_507 F CQuand la soupe est annoncée, tous se précipitent autour des tables, les copains se mettent ensemble, ça se bouscule. J’aide Rosario à servir les assiettes pleines. Des gamins sont à la porte, silencieux, leur regard en dit long, mais Rosario fait remarquer:

« Si je donne de la nourriture à un enfant qui n’est pas inscrit au centre, demain, j’en aurai 100 qui viendront ! Certains parents me demandent tous les jours que leur enfant soit admis. Les besoins ici sont immenses. « 

Shirley, la petite fille qu’on a remarquée sur le film du 25ème anniversaire, avec son aisance à danser, est là avec sa petite sœur Dayana. Leur mère est morte quand la plus jeune avait deux ans, laissant 4 enfants. Peu après le père est parti avec une autre femme et n’a plus donné de nouvelles. La grand-mère a recueilli les plus jeunes et, pour gagner quelques sous, elle fait des lavages. Les petites sont bien propres et vêtues avec goût. A les voir souriantes et malicieuses, on ne dirait pas qu’elles ont déjà vécu tant de malheurs.

La soupe avalée, on passe au plat principal, chacun vient à la cuisine avec son assiette (Rosario régule le flot) et repart avec une énorme louche de riz, une patate, un morceau de poulet et un peu de sauce. J’aide un petit bout de chou, car le riz fuit devant sa cuillère, mais son grand frère s’en aperçoit et se met à l’aider. Plus tard, je les verrai partir tous les deux, le grand se mettant au pas du petit et l’entourant d’un bras protecteur. Dans ces habitats où les parents s’absentent tout le jour pour essayer de gagner quelques sous, les ainés portent le lourd fardeau de veiller sur les plus jeunes.

alt_truj_oct_2010_580 F CAu fur et à mesure qu’ils ont fini, ils déposent leur assiette dans la bassine, mangent leur banane et s’approchent de nous. Une fillette s’assoit sur mes genoux « je vais apprendre le français et j’irai en France, je pourrai loger chez toi ? ». Un autre nous dit « Vous revenez demain ? ». De plus en plus hardis, les enfants nous interpellent « Michel ! » «  Aline ! ». Ils veulent être photographiés, se jettent dans nos bras pour être embrassés. Rosario rit « ils ont besoin d’être câlinés, écoutés ».

C’est ensuite la photo de groupe, puis les gamins partent en courant vers le terrain de foot. Quelle énergie !

alt_truj_oct_2010_573 F CIl nous faut partir, à regret. Maria nous embrasse comme du bon pain, les derniers enfants nous font de grands signes d’adieu. Nous ne savons pas que nous en reverrons certains demain…

Rosario nous montre sur la colline, non loin du centre, la zone des « invaciones », littéralement « les envahisseurs ». Ainsi sont désignés par tous, y compris les autorités, ceux qui viennent de la sierra et s’installent où ils peuvent dans un abri de bambou, de tôle et de toile plastique, sans aucun droit sur le terrain, sans eau, sans électricité, sans toilettes, sans rien.

Nouvelle expérience, nous prenons un taxi collectif, serrés comme des sardines, deux devant en plus du chauffeur et 4 derrière, et parcourons la même piste défoncée dans l’autre sens, nous arrêtant pour laisser ou prendre quelqu’un.

Quand nous sortons du restaurant, une tâche nous attend : trouver des costumes pour la fête de demain (Michel avait raison, qui prédisait une fête en notre honneur !). Les boutiques de déguisement sont nombreuses à Trujillo. Nous revenons chargés de gros sacs.

Samedi 9 octobre – fête à El Porvenir

Ciel bleu dès le matin « vous nous avez amené le soleil ! ».

el_porv_oct_2010_621 F CQuand nous arrivons au centre d’El Porvenir, des enfants sont déjà là, ils nous embrassent. Les tables ont été portées chez la voisine, et les bancs disposés le long des murs, afin de leur permettre d’être assis. Eugenia nous accueille à bras ouvert, ainsi que Domitila, sa nièce venue de la sierra, qui l’aide parfois moyennant l’achat d’un vêtement, leur fils David, un jeune homme de 15 ans et Julio son mari, dans son fauteuil roulant.

el_porv_oct_2010_623 F CLa « cocina » est en aussi mauvais état que celle d’Alto Trujillo. Une casserole chauffe sur le petit poêle à briquette, à côté de la table de travail où Eugenia émince ses oignons… Le menu qui se prépare est simple : riz, poulet et haricots, avec comme boisson de la « chicha morada », facile à faire et très appréciée des enfants.

Rosario pointe les enfants sur le cahier de présence. Le pointage du matin est particulièrement important, car il permet de savoir combien d’enfants mangeront le midi, donc de préparer le repas au plus juste pour ne pas gaspiller.

el_porv_oct_2010_aline333 cMaria arrive avec une douzaine d’enfants d’Alto Trujillo, nous reconnaissons Shirley, Dayana, Sébastien et Jean-Pierre (bien propres cette fois). Eleuteria arrive aussi avec 12 enfants de La Esperanza.

Deux anciens du centre, un garçon et une fille, peut-être 16 ans, ont appris aux enfants à danser et chanter en deux samedis. Pour l’heure, ils les aident à mettre leur costume et à se maquiller, les garçons dans la salle, et les filles dans la mini cour qui mène aux pièces occupées par la famille d’Eugenia.

Rosario fait un petit discours pour démarrer la fête, en l’honneur des amis de Quebracho. Les premiers danseurs, costumés de blanc entament une danse style cosaque « los caneros de San Jacinto ». Les garçons ont un masque et un sabre, les filles des robes colorées et des coiffures à paillettes.el_porv_oct_2010_696 F C

Puis c’est « la saya » avec six enfants qui se donnent à fond. Deux filles dansent « la Marinera », et enfin nous avons droit à des chants.

Le repas peut commencer. J’aide une toute petite fille à manger, sa maman est une ancienne du centre, dont le mari est parti. el_porv_oct_2010_aline337 c Il y a 3 ou 4 enfants d’anciens du centre qui manquent de travail ou ont un travail précaire et mal payé.

Après le repas, ce sont les photos de groupe, dehors, puis ils se mettent en file pour nous embrasser : 70 embrassades !!

Les douze gamins d’Alto Trujillo repartent avec Maria et David, entassés dans un seul taxi collectif !! 15 personnes, je ne pensais pas que ce soit possible, mais si !!

Quant à nous, nous repartons par le microbus, moyen de transport populaire qu’il nous restait encore à découvrir. Il faut quasiment ramper pour s’y faufiler jusqu’à une « microplace ». Dos fragiles, s’abstenir !

Après le déjeuner, nous allons rendre les costumes. Nous traversons une immense foire aux habits, très colorée et bon enfant, où nous nous attardons. Mais un policier nous interpelle pour que nous rangions nos appareils photos, la zone n’est pas sûre et du coup, nous préférons rentrer en taxi (quel confort, en comparaison !). Demain dimanche, un peu de grasse matinée, et tourisme !

Lundi 11 septembre – La Esperanza

7h30 : départ en microbus pour La Esperanza. la_esp_oct_2010_243 F CLe « mercado » est très propre et bien achalandé.

Rosario achète d’abord les fruits en fonction du nombre d’enfants, clémentines, pommes et bananes. Puis ce sont les légumes, pommes de terre, oignons, carottes, poireaux, potiron… et « allucos », sorte de toutes petites pommes de terre. Ensuite les différentes farines, le riz, les flocons, qui sont puisés dans des grands sacs. Les œufs sont mis en vrac dans un sac plastique, dont j’hérite. Et en dernier 2 énormes poulets pour les 30 enfants du centre.

Les paniers sont archi-pleins et fort lourds. Nous les mettons à l’arrière d’une moto taxi, et nous nous entassons sur le siège avec nos gros sacs à dos sur les genoux et moi avec mes œufs dans les mains. Encore une expérience forte, dans les cahots et le sable. Patinage dans les pentes très raides, mais enfin nous y voilà.

Eleuteria nous embrasse et nous fait entrer dans la pièce au sol de terre battue et aux murs vert clair. Les tables sont envahies de nos provisions, qui ne sont que pour 3 jours !

Et la « cocina » me direz-vous ? Et bien elle est rouillée. Une soupe de poulet y cuit doucement, répandant sa bonne odeur dans toute la maison. Je dépose nos sacs à dos dans la chambre d’Eleutéria, avec un regard vers le plafond qui a déversé toutes les eaux du ciel sur le sol lors des inondations de février. Il est bien réparé.

la_esp_oct_2010_290 F CDans la cour, les deux murs accidentés, puis récemment remontés sont occupés et « mouchetés » par les pigeons roucoulants de la voisine. La cabine des latrines a été bien endommagée.

De là, on aperçoit la maison d’Elena, ancienne chargée de centre. A ma demande, Rosario l’appelle, c’est sa voisine qui répond « elle est au marché, je la préviens que tu l’attends ». L’avocatier copieusement arrosé a donné de gros fruits, deux manguiers ont été plantés. Il y a aussi des plantes médicinales . Tout pousse ici dès qu’il y a de l’eau !

la_esp_oct_2010_345 F CBientôt Elena arrive, et nous nous enquérons de sa santé. Depuis son opération (hernie ventrale) elle va mieux mais souffre encore. Elle nous propose de venir visiter sa maison, et nous la suivons.

Porte en fer, fermée à double tour, car la nuit, l’insécurité règne dans ces banlieues. Nous pénétrons dans la cour des miracles, pièce étroite (elle en a vendu la moitié pour pouvoir se faire opérer), jonchée d’objets. La petite gazinière est déconnectée de la bombonne de gaz vide (pas de sous pour la remplacer). En face de sa maison, un immense fossé sert de décharge à ciel ouvert pour tout le quartier. La chaleur monte, réverbérée par le sable.

la_esp_oct_2010_363 F CDe retour dans notre centre, nous repartons aussitôt avec Rosario et Elena voir les « invaciones » tout proches. Non loin, des enfants viennent nous dire bonjour. Rosario les connaît. la_esp_oct_2010_375 F CPlus loin, d’autres gamins s’approchent, des gens nous font bonjour de la main, Rosario est connue.

Dans les maisons précaires il semble qu’il n’y ait personne. Je passe à côté avec un certain malaise. J’imagine que des familles s’y entassent le soir, que des enfants y naissent et y grandissent. Le vent les détériore, le froid ou le chaud s’y engouffrent, et une forte pluie est catastrophique. Au raz du sable serpentent des fils électriques : ce sont des branchements sauvages nous dit Rosario, un danger quand il pleut.

la_esp_oct_2010_441 F CNous retrouvons la fraîcheur dans le centre bien aéré. Les premiers enfants arrivent, ils viennent nous embrasser avant d’entamer leur repas. Eleuteria leur sert une grande assiette de spaghettis assaisonnés et un verre de jus d’orange.

Un garçon s’est installé en face de Rosario qui lui demande pourquoi il n’a pas son uniforme d’écolier. la_esp_oct_2010_420 F CParce que sa mère ne le lui a pas lavé. Et alors ? « Alors je ne vais pas à l’école !» Rosario soupire.

Je suis assise à côté d’une petite fille qui pêche le morceau de poulet dans sa soupe et le mange en décortiquant les os et en se barbouillant la figure. A chaque bouchée, elle s’essuie sur ses manches de chemise en un geste familier, tout en me parlant et en s’intéressant au caméscope.

Après avoir quitté le centre, nous marchons longtemps dans le sable, pour trouver le microbus qui nous ramène en ville.

Mardi 12 septembre – le départ

Réveil à 4h45. Valise rapide, déjeuner rapide, taxi. A l’aéroport, embrassades et recommandations, tristesse de se quitter, avant de prendre l’avion Trujillo-Lima de 6h55…

Deux jours après, nous arrivons à la maison, je téléphone à Rosario qui saute de joie en m’entendant. Mais elle a un fort rhume et elle tousse à fendre l’âme. « Pourvu que je guérisse vite ! Vous avez vu toutes les courses que je dois faire chaque jour pour que les enfants mangent ! »

Texte d’Aline, photos de Michel, lire aussi leur carnet de route dans le bulletin 52

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